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OPI­NION: Pour­quoi le Ras­sem­ble­ment na­tio­nal ne doit pas par­ve­nir au pou­voir en France

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Le Ras­sem­ble­ment na­tio­nal a changé de garde-robe et de style mais pas d’idéo­lo­gie, es­time l’an­cienne Pre­mière mi­nistre du Sé­né­gal, qui ap­pelle les Fran­çais d’as­cen­dance afri­caine et les bi­na­tio­naux afri­cains-fran­çais à lui faire bar­rage dans les urnes.

Aux es­prits cha­grins qui me ré­tor­que­raient : « De quoi te mêles-tu donc ? », ma ré­ponse est simple : « Je me mêle de ce qui me re­garde ». En tant que mi­li­tante des droits hu­mains, j’ai la convic­tion que la pos­sible ar­ri­vée au pou­voir du Ras­sem­ble­ment na­tio­nal en France n’est plus une ques­tion franco-fran­çaise. C’est une ques­tion ci­vi­li­sa­tion­nelle qui in­ter­pelle celles et ceux qui, à tra­vers le monde, conti­nuent à croire à l’ami­tié et à la so­li­da­rité entre les peuples et se battent pour le res­pect des droits des im­mi­grés, en par­ti­cu­lier afri­cains, les­quels po­la­risent faus­se­ment le dé­bat po­li­tique dans l’Hexa­gone.

Rhé­to­rique per­verse

Convo­quons un ins­tant les sta­tis­tiques, qui contre­disent l’ar­gu­ment, aussi ab­surde que dan­ge­reux, du « grand rem­pla­ce­ment », cette thèse ra­ciste qui a fait de la stig­ma­ti­sa­tion sys­té­ma­tique des im­mi­grés le fonds de com­merce de l’ex­trême droite. Se­lon les sta­tis­tiques of­fi­cielles de l’In­see, 7 mil­lions d’im­mi­grés vi­vaient en France en 2022, soit 10,3 % de la po­pu­la­tion to­tale (67,97 mil­lions). Parmi eux, 35 % – soit 2,5 mil­lions – ont ac­quis la na­tio­na­lité fran­çaise. La po­pu­la­tion étran­gère ré­si­dant en France s’éle­vait donc alors à 5,3 mil­lions (7,8 %).  Seuls 48,2 % de ces im­mi­grés sont nés en Afrique. Or se­lon la rhé­to­rique per­verse de l’ex­trême droite, ces 1,2 mil­lions d’étran­gers par­ti­cu­liè­re­ment ci­blés se­raient en passe de « rem­pla­cer » 67,9 mil­lions de Fran­çais. Re­layé com­plai­sam­ment par cer­tains mé­dias, cette construc­tion in­tel­lec­tuelle fan­tai­siste fi­nit par an­crer dans les es­prits la crainte que « le Zam­bèze en­va­hisse la Cor­rèze ». Trop d’in­tel­lec­tuels en France, y com­pris pro­gres­sistes, ont laissé pros­pé­rer cette pro­pa­gande, sou­vent ac­com­pa­gnée de stig­ma­ti­sa­tions pu­bliques à l’en­contre des Afri­cains.

Pa­ral­lè­le­ment, des res­pon­sables po­li­tiques BCBG, au sein de par­tis po­li­tiques fas­ci­sants, comme le Ras­sem­ble­ment na­tio­nal de Ma­rine Le Pen ou Re­con­quête, d’Eric Zem­mour, ont com­pris l’im­por­tance qu’il y avait à adop­ter un look jeune et mo­derne pour lis­ser leur image et se rendre po­li­ti­que­ment cor­rects dans un contexte de crise exis­ten­tielle née de la re­con­fi­gu­ra­tion des rap­ports de forces éco­no­miques mon­diaux, qui in­quiète nombre de pays eu­ro­péens na­guère do­mi­nants.

Exit, le style vieillot de Jean-Ma­rie Le Pen et bon­jour les cos­tumes bien cou­pés et les ta­lons ai­guille de ses hé­ri­tiers et hé­ri­tières po­li­tiques. Et voici qu’une bonne par­tie de l’élec­to­rat fran­çais, an­goissé par le pré­sent et mor­ti­fié par l’ave­nir, semble prête à bas­cu­ler : « Et si on les es­sayait, après tout ! ».

« No pa­sa­ran ! »

En at­ten­dant de com­prendre pour­quoi et com­ment on en est ar­rivé là, em­prun­tons aux par­ti­sans de la Se­conde Ré­pu­blique es­pa­gnole en lutte contre le gé­né­ral- dic­ta­teur Franco leur fa­meux cri de ral­lie­ment : « No pa­sa­ran ! » L’oc­ca­sion ne doit ja­mais être don­née au Ras­sem­ble­ment na­tio­nal et à ses sa­tel­lites de di­ri­ger la France, pays de la pre­mière Dé­cla­ra­tion des droits de l’homme et du ci­toyen, adop­tée le 26 août 1789, et qui consacre le ca­rac­tère « na­tu­rel, in­alié­nable et sa­cré des droits in­di­vi­duels et col­lec­tifs ».

Rap­pe­lons aussi que c’est à Pa­ris qu’a été adop­tée par l’As­sem­blée gé­né­rale des Na­tions unies, le 10 dé­cembre 1948, la Dé­cla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme. Le Fran­çais René Cas­sin, qui ob­tien­dra le prix No­bel de la Paix en 1968, était alors aux com­mandes de la ré­dac­tion de ce texte – ra­ti­fié par la France en 1954 – aux cô­tés d’Elea­nor Roo­se­velt et Charles Ma­lik.

La Conven­tion in­ter­na­tio­nale sur l’éli­mi­na­tion de toutes les formes de dis­cri­mi­na­tion ra­ciale est quant à elle en­trée en vi­gueur en 1969 et la France l’a ra­ti­fié en 1981. L’idéo­lo­gie du Ras­sem­ble­ment na­tio­nal s’ins­crit dans une vio­la­tion constante de tous ces ins­tru­ments de droit in­ter­na­tio­nal ra­ti­fiés et par­fois ini­tiés par la France. Outre son pro­jet d’ins­tau­rer la pré­fé­rence na­tio­nale, Jean-Ma­rie Le Pen, le père de l’ex­trême droite fran­çaise mo­derne, a été plu­sieurs fois condamné pour « apo­lo­gie de crimes de guerre et contes­ta­tions de crimes contre l’hu­ma­nité », « pro­vo­ca­tion à la haine, à la dis­cri­mi­na­tion et à la vio­lence ra­ciales », « in­jures pu­bliques » et  « vio­lences ».

La mort, le 1er mai 1995, de Bra­him Bou­raam, un Ma­ro­cain de 30 ans agressé par des ma­ni­fes­tants en marge d’une marche du Front na­tio­nal et jeté  dans la Seine, nous rap­pelle les mo­ments de ter­reur que nous, jeunes étu­diants afri­cains, vi­vions en France lorsque l’on an­non­çait une des­cente du Groupe Union-Dé­fense (GUD), une or­ga­ni­sa­tion es­tu­dian­tine vio­lente qui se li­vrait ré­gu­liè­re­ment à des ra­ton­nades contre des étu­diants afri­cains sur les cam­pus uni­ver­si­taires. Cer­taines fi­gures mar­quantes du GUD sont au­jour­d’hui de proches col­la­bo­ra­teurs af­fi­chés de Ma­rine Le Pen. Le 12 juin, quatre mi­li­tants d’ul­tra­droite ont été condam­nés à des peines al­lant de six mois de pri­son avec sur­sis à sept mois ferme pour leur par­ti­ci­pa­tion à une agres­sion ho­mo­phobe à Pa­ris alors qu’ils « fê­taient » la vic­toire du RN aux élec­tions eu­ro­péennes.

Chaque voix compte !

C’est pour­quoi il est un de­voir pour tous les mi­li­tants des droits hu­mains, par­tout où ils se trouvent, de se mo­bi­li­ser pour évi­ter que la France ne connaisse la plus grande ré­gres­sion de son his­toire ré­cente. L’ex­trême droite, au quo­ti­dien, pié­tine la de­vise de la France : « Li­berté, Ega­lité, Fra­ter­nité » ; et son ac­ces­sion au pou­voir ne fe­rait que char­rier son lot de vio­lences ra­cistes, an­ti­mu­sul­manes, an­ti­sé­mites ou sexistes car de­puis des dé­cen­nies, celle-ci a bâti son dis­cours sur la haine, l’ex­clu­sion et le ra­cisme.

Mal­gré les ten­ta­tives de dé­dia­bo­li­sa­tion de ses di­ri­geants, cette idéo­lo­gie fas­ciste conti­nue d’im­mer­ger l’ac­tion po­li­tique de l’ex­trême droite, qui voue une haine par­ti­cu­lière aux Afri­cains et aux noirs en gé­né­ral. Son ac­ces­sion au pou­voir consa­cre­rait une rup­ture to­tale avec le conti­nent afri­cain, le­quel en­tend plus que ja­mais se battre pour faire res­pec­ter sa sou­ve­rai­neté et im­po­ser à tous le res­pect en vue d’un par­te­na­riat ga­gnant-ga­gnant.

Il est tout aussi im­pé­ra­tif que tous les Fran­çais d’as­cen­dance afri­caine et les bi­na­tio­naux afri­cains-fran­çais aillent vo­ter mas­si­ve­ment pour que, à tra­vers des lois fortes qui se­raient adop­tées par la pro­chaine As­sem­blée na­tio­nale, cessent en France les pro­pos ra­cistes dé­bi­tés à lon­gueur d’émis­sions de té­lé­vi­sion, les bri­mades mes­quines in­fli­gées au quo­ti­dien et les dis­cri­mi­na­tions de toutes sortes.

Dans l’im­mé­diat, la lutte contre le ra­cisme passe par une dé­faite cin­glante du Ras­sem­ble­ment na­tio­nal aux pro­chaines lé­gis­la­tives en France. Et chaque voix compte !

Ami­nata Touré

Mi­li­tante des droits hu­mains, an­cienne Pre­mière mi­nistre et ex-pré­si­dente du Conseil éco­no­mique, so­cial et en­vi­ron­ne­men­tal.

Pu­blié le 20 juin 2024

Dans Jeu­neA­frique

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